Réflexions sur Premier Contact

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Premier Contact, c’est le cœur de la rencontre. Et pour que ce cœur existe, il nécessite un tout : le suspense, le doute, le trouble dans nos repères, une obsession et une fascination, un manque de confiance, une perte de logique dans nos choix…

Lister ces ingrédients n’est pas vrai que pour la seule histoire des protagonistes. En effet, quand deux individus se rencontrent, ils influencent tout un écosystème qui dépend d’eux. Surtout quand, en l’occurrence, cette rencontre se fait entre terriens et extraterrestres. Mais avant de dire que les extra-terrestres sont des étrangers, sommes-nous sûrs que nous nous connaissons réellement, entre humains ?

Langage et communication

Comme n’importe quelle œuvre de Science-Fiction, Premier Contact nous parle avant tout de l’Homme, et les éléments surnaturels, par rapport à nos connaissances du moment, que ce soit une vie extra-terrestre, une technologie avancée etc… ne sont qu’un prétexte pour mieux dépeindre et comprendre notre espèce.

On pourrait ainsi retirer les aliens de Premier Contact et voir que les humains, et notamment Louise, se sont déjà confrontés au problème du langage. Le principal problème invoqué est que chaque langue différente implique autant de manières différentes de voir le monde. Une langue, c’est une structure de pensée et une culture.

L’enjeu des protagonistes est de faire le maximum pour comprendre, tout en sachant qu’ils ne comprendront pas tout.

Le Temps

Premier Contact cherche à nous faire éprouver cette impossibilité de tout comprendre. Et pour cela, son principal atout est de jouer avec le temps. C’est un très bon moyen pour nous remuer nous, spectateurs, dans nos certitudes et notre compréhension d’un film. Le temps est une logique de la vie que nous comprenons presque tous comme une « avancée » inarrêtable du passé vers le futur. Jouer avec, c’est déstabiliser le spectateur et le forcer à devoir comprendre les choses.

Exemple de mon cas propre : pour moi, la sous-intrigue de la fille de Louise était initialement dans le passé. Plus tard il m’a semblé qu’en fait, Louise aurait sa fille après les événements du film. Une faute d’inattention, deux / trois séquences complexes, et j’ai recommencé à croire que la fille était morte avant l’arrivée des aliens. Enfin, le film m’a replacé l’existence de ce personnage au bon endroit : dans le futur ! La mémoire du spectateur et ses attentes sont donc un jeu pour Premier Contact.

Habituellement, beaucoup de films se cantonnent à représenter au mieux les étapes du scénario comme on enfile des perles avec délicatesse. Sauf que ces « beaucoup de films » ne sont finalement pour les spectateurs que des colliers de perles : beaux ou pas beaux. Or un film ne peut pas se lire sur le simple fil de son l’histoire. Il faut le regarder sous tous les plans : le montage, le son, le jeu, l’image… avoir une pensée sur tel choix de mise en scène, telle mise en relation d’événements… Il n’y a pas que les mots, il n’y a pas que l’action, il faut se servir de tous les signes.

Concordance entre Louise et le spectateur

Nous sommes d’autant plus invités à un travail de compréhension car nous partageons la place de Louise, dans le même dispositif. En effet, si on vous décrit la pièce suivante : un écran large et géant qui montre des personnages qu’on essaie de comprendre par tous les signes qu’ils nous envoient. Nous ne pouvons pas les voir entièrement et leur temps d’apparition nous est imposé. Leur son est décuplé par rapport au son de notre voix. Et ils fascinent. Ils nous illuminent. Ils sont énormes. Cette description est valable pour notre environnement de spectateur et pour l’environnement de Louise.

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Extrait “Premier Contact” – Jan Thijs – © 2016 PARAMOUNT PICTURES. ALL RIGHTS RESERVED.

Pour aller plus loin dans ce partage, les seuls moments où les personnages sont vraiment éclairés, ce sont les moments passés devant cet écran, avec les aliens. Alors, fait physique, nous sommes nous-mêmes très éclairés dans le public. Il est inévitable de comprendre que Louise et Ian jouent, entre autres choses, le rôle de spectateurs-penseurs, et éclairés – dans les deux sens du termes ! Un exemple à suivre ?

Brève étude d’un début bref

Parlons enfin du début du film. Tout est au comble du subjectif dans ce début : les souvenirs de l’histoire entre Louise et sa fille vont très vite et on a à peine le temps de se faire aux personnages et à leur relation que la fille est déjà crevée. (La musique mélancolique – On the nature of daylight de Max Richter, et le montage qui transgresse la règle des 180°, notamment quand la mère joue au shérif avec la fille, nous rendent déjà tristes et mal à l’aise, insinuant que cette relation mère-fille est bancale et ne sera pas que joyeuse, et que mère et fille ne voient pas les choses sous le même angle…).

On note aussi qu’il n’y a pas le temps de film nécessaire pour faire naître de l’empathie avec cette histoire, car on l’apprend plus tard, elle n’est pas censée s’être encore passée. La brièveté de cette séquence traduit la notion scientifique de relativité du temps, les cuts comportent des micro-ellipses, témoignant d’une non-linéarité du temps : la clé du film est déjà donnée. Le même procédé s’appliquait déjà à certaines scènes d’Interstellar de Chris Nolan en 2014.

Plus tard, dans la salle de classe, les champs et contrechamps se font toujours avec Louise dans le cadre. Elle est placée quoi qu’il arrive au milieu de cet amphithéâtre. On est donc avec elle, seule à affronter le quasi-désintérêt d’une classe quasi-vide. Le champ : on est face à Louise, présentée seule, sans amorce de ses interlocuteurs, ils sont simplement en reflet – nous sommes ce reflet artificiel de spectateurs, dans le rôle d’observateurs de Louise. Contre-champ : face aux élèves, avec une amorce de Louise en entier, ce qui nous place à ses côtés dans cette relation frontale avec ses spectateurs – notre deuxième rôle est de partager son expérience.

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Extrait de “Premier Contact” – © 2016 PARAMOUNT PICTURES.

Pour la même séquence de l’université, parlons écrans. On en voit un premier devant lequel passe Louise quand elle arrive. Des personnes se massent devant. Ces gens et le programme qu’ils regardent sont laissés flous, ils sont juste suggérés, mais comme ils ont un centre d’attention différent du nôtre, on se demande ce qu’ils voient.

Ensuite, dans la salle de classe, des téléphones se mettent à biper. Les élèves regardent leurs micro-écrans sans mot dire et sans qu’on voit ces écrans. Il se passe quelque chose qu’on cache. Puis on demande à regarder les infos, et quand Louise allume la télé, on nous décrit un événement sans nous le définir, et il n’y a rien d’exceptionnel à l’image. À noter que le plan est alors face à la classe qui nous regarde, il y a donc là encore deux groupes de spectateurs, un fictif, un réel, qui regardent un écran en miroir (hop, mise en abîme.) Et d’un coup, on entend l’alarme. Plan large et fixe sur la classe quasi-vide et calme, réplique déconnectée de Louise : « Le cours est terminé. » Cet espace, tel qu’il est, est en totale contradiction avec les information qu’on nous communique sur son extérieur. Mettons le mot dessus, ces procédés déclenchent chez le spectateur la pulsion scopique (= le besoin de voir.)

La pulsion scopique est très répandue dans les films de monstres et d’aliens : on parle beaucoup de la bestiole pour créer l’attente de la voir. A ce stade du film, les aliens n’existent que dans notre imagination de spectateur. Louise a peut être les mêmes idées que nous, mais elle semble les nier, comme pour nous dire « Attendez, nous n’avons pas tous les éléments pour affirmer quoi que ce soit. » (Enfin, du coup c’est moi qui dit ça.)

L’attitude de Louise donne beaucoup d’indices pour que nous adoptions une démarche intelligente de spectateur, ce qui devrait nous amener à réfléchir aux thématiques développées plus haut. En nous faisant prendre conscience de notre place, le film nous donne en permanence les mécaniques de son message humaniste : la compréhension.

Le film se respecte lui-même

On l’a abordé, mais Premier Contact nous parle de fascination et d’obsession. Fascination des humains pour les aliens, obsession de Louise et Ian qui entendent et voient ces aliens partout. Mais les films n’ont ils pas pour but d’avoir ce même rôle chez le spectateur ? Un film ne devrait-il pas imprégner le spectateur dans sa vie de tous les jours tout comme un livre suit son lecteur ?

Oui, j’ai adoré ce film, il m’a retourné, et je le trouve « génial ». Mais il faut comprendre que « bien » n’est pas la qualité de ce film. Sa qualité, c’est qu’il se respecte. Il pose une idée qu’il tente coûte que coûte de développer, de défendre, et de faire résonner à tous les niveaux de création, incluant la manière dont le spectateur le reçoit. C’est ce qui en fait un film fort.

Pour le reste, il arrive à tout faire comprendre par un jeu d’acteurs riche en saveurs, un scénario délicieux, un montage travaillé par des maîtres, une direction artistique élégante… Ok.

Mais mis à part ces atouts de grosse réalisation/production, je pense que beaucoup de films devraient avoir cette intelligence de faire appel à tous les moyens d’expression pour parler d’un sujet. Premier Contact est intelligent car il nous parle de comprendre en nous donnant la démarche-même de la compréhension. De plus, il me semble que son discours riche est très clair. À mon avis beaucoup de subtilités sont saisissables même par des spectateurs candides.

Quand Premier Contact est vu une fois, qu’on a compris son réel objet, on peut se le repasser en boucle, se rappeler des extraits dans un sens, dans un autre, et profiter qu’il ne fait qu’un avec son discours, à chaque séquence qui passe. (D’ailleurs, le film est une boucle. On retrouve la même musique en début et en fin, le début est un flash forward, donc le début est la fin, la fin est le début : théorie d’un univers sans commencement et sans fin.)

Le retour à la vie

« J’ai toujours regardé les étoiles, pourtant cette rencontre avec les aliens n’a pas été quelque chose de fantastique. C’est te rencontrer qui a été fantastique.» (En gros.) Derrière cette phrase éminemment niaise se cache toute ma manière de considérer l’astronomie. Oui, l’espace fait rêver. Oui, l’étudier permet de révéler des beautés cachées. Mais étudier l’espace pour autre chose que comprendre notre situation terrestre est quelque chose qui me fait mal au cœur. Surtout vu le prix de la conquête spatiale.

Évidemment, cette réplique est très bateau : bien sûr que l’extraterrestre est censé être plus exceptionnel que la rencontre d’une pauvre geek universitaire. Pourtant, l’objet de la réplique est là : on peut étudier ce qui nous dépasse, l’espace, Dieu, la philosophie, le cinéma, le rêve, mais on ne devrait pas en oublier la vie qui nous entoure (Voir Pi de Darren Aronofsky, 1998).

La réaction face à un élément étranger se fait en plusieurs étapes : la panique (déploiement des militaires), le repli sur soi (arrêt des communications entre nations), la compréhension (apprentissage du langage), et l’acceptation (utilisation de la vision du futur).

Ces aliens sont infiniment bienfaisants, ne présentent aucune menace, ne possèdent aucune arme, n’ont aucune rancune suite à la bombe… Ils sont dans la collaboration, du donnant-donnant, en aidant les humains, ils attendent d’eux qu’ils les aident dans 3000 ans.

Cette aide apportée aux humains n’est ni le langage heptapode, ni la capacité de voir le futur, l’aide apportée est la compréhension entre les peuples, qui doit amener à une collaboration et une bienfaisance mutuelles. Tout simplement l’unification de l’humanité. (cf. Les Enfants d’Icare d’Arthur C. Clarke, 1953).

La rencontre des aliens a juste servi à ce que les humains se rencontrent vraiment entre eux pour la première fois, s’acceptent. Comme Ian rencontre Louise, chaque humain, chaque peuple, va pouvoir rencontrer son voisin, le comprendre.

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Et notre Louise-alter-ego, quand elle comprend qu’elle connaît son futur, dont elle connaît l’issue fatale, décide quand même de le suivre. Pourquoi ? Parce que des hauts et des bas, des cancers et des jeux d’enfants, il y en a, c’est comme ça. Et si sa fille haït possiblement sa mère parce que celle-ci savait qu’elle mourrait, on peut se dire qu’elle aurait aussi pu la haïr pour d’autres raisons. Si connaître une histoire linéaire suffisait, on passerait d’histoire en histoire, de film en film, de livre en livre, nos sensations se récapituleraient à ça. Mais tout comme Louise, je suis et spectateur et être vivant. Et je finis toujours par sortir des salles obscures pour aller vivre.

 

Un autre film à voir sur le même sujet : District 9.

Premier Contact, réalisé par Denis Villeneuve, sorti le 7 décembre 2016.

Les passages en italique représentent la contribution d’Aurèle Collin.

Publié le 10 décembre 2016. Dernière mise à jour le 29 décembre 2018.

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