Julien Richard-Thomson, outsider du “cinéma officiel” français

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Depuis qu’il a découvert comment manipuler une caméra à l’âge de 9 ans, Julien Richard-Thomson n’a pas arrêté de tourner des films. Enfant, c’est dans sa chambre qu’il les montrait à ses amis et parents à l’aide d’un projecteur Super 8.

Persuadé d’être promis à un brillant avenir dans le cinéma, il tente le concours de la FEMIS, qu’il rate. Puis ce sont les financeurs, qu’ils soient des télés ou des institutions publiques telles que le CNC, qui ne veulent pas de ses films qui ne “rentrent pas dans les cases”.

Pourtant les pitchs de ses projets, à mi-chemin entre l’univers ironique des frères Coen ou les mondes cauchemardesques de Lynch ou Cronenberg, laissent entrevoir des films qui pourraient se révéler captivants, mais qui évoquent davantage le cinéma américain que la production hexagonale…

Mais il lutte pour sa passion, encore et toujours. Le système D devient son quotidien et ses films continuent à se faire. Dans son livre Mon Cinéma de A à Z, il décrit ce quotidien, ses tournages, ses nombreuses galères et le mauvais sort qui semble parfois s’acharner sur lui.

Dans l’interview qui suit, il revient pour nous sur sa vie de réalisateur en marge du cinéma “officiel”.

 

“Quelle formidable invention ! Plus besoin de savoir dessiner, il suffit de filmer !”

 

Comment vous est venue l’envie de faire des films ?

Très jeune, avant même de savoir écrire, je me suis mis à la bande dessinée… Je gribouillais dans des cases, avec des bulles que je remplissais de charabia. Ensuite, j’ai découvert la caméra Super 8 de ma mère et je me suis dit “Quelle formidable invention ! Plus besoin de savoir dessiner, il suffit de filmer !” Je me suis lancé dans le tournage de petits films muets, dans lesquels je faisais jouer mon frère, mes parents, mes cousins et autres copains d’école. En tout j’en ai tourné une quarantaine, avant de passer à la vidéo alors que j’étais lycéen. Puis, pendant mes études de cinéma, j’ai décidé de passer au long-métrage en m’autoproduisant. Je tournais surtout des parodies et des comédies fantastiques car j’ai toujours eu de l’intérêt pour le cinéma “de genre”. Pour plusieurs films comme Time Demon ou Jurassic Trash, j’ai reçu le soutien de la revue Mad Movies, ce qui a contribué à populariser ces films dans le milieu cinéphile et fantasticophile.

 

En quoi consistait le soutien de Mad Movies ?

Mad Movies et son fondateur Jean-Pierre Putters participaient au financement des longs-métrages, cela représentait des sommes assez modestes puisque ces films coutaient l’équivalent de quelques milliers d’euros. Mais le plus important était que le parrainage par la revue permettait de trouver des collaborateurs, des acteurs, et crédibiliser un peu la démarche auprès du public et des médias. Pour autant nous sommes passés pour de doux dingues aux yeux de la plupart des gens, d’autant que le cinéma d’exploitation était plutôt méprisé et ne faisait pas l’objet d’un culte comme cela se produit aujourd’hui, peu de gens comprenaient pourquoi nous voulions rendre hommage aux séries Z italiennes ou aux films de la Troma.

 

C’est quoi être un réalisateur “en marge” ?

A force de tourner ces petites productions parodiques et de les diffuser en vidéo VHS (dans les vidéoclubs ou les magasins spécialisés) je me suis taillé la réputation d’un cinéaste un peu déjanté et underground. Le milieu professionnel s’est méfié, car à l’époque nous n’étions pas encore au temps du numérique et ce que je faisais, tourner des films en vidéo sans moyens financiers, se faisait peu. L’esprit un peu “geek” et loufoque qui régnait sur ces films n’était pas vraiment compris, j’arrivais sûrement un peu trop tôt mais j’étais assez naïf à l’époque. Moi je tournais ces films pour me faire la main, dans l’espoir de me faire une “carte de visite” afin de passer ensuite à la vitesse supérieure, des films pour le cinéma. Mais en réalité je me suis fermé toutes les portes, car les producteurs et les télévisions m’ont pris pour un illuminé ! (rires) Je suis donc devenu un réalisateur marginal malgré moi. Pourtant j’ai tenté de présenter des projets plus “grand public”, mais toujours avec une petite touche de second degré, ou une teinte de fantastique, ce qui a déplu aux producteurs. Je me suis ensuite tourné vers l’internet et j’ai tourné des séries pour les premières web-tv au début des années 2000. Ça s’est vite arrêté car la technique n’était pas encore assez performante. J’ai aussi travaillé comme réalisateur de reportages TV ou dans la publicité, ainsi que dans la presse magazine comme journaliste et photographe… Il y a trois ans j’ai fondé une nouvelle société de production et nous développons des projets assez variés.

 

rjt tournage roboflash (camion) recadreSur le tournage de Roboflash Warrior

 

“Concernant le CNC, il y a de quoi être perplexe, car je comptabilise à ce jour une quinzaine de refus de sa part. En vingt ans je n’ai reçu aucune subvention, je pense être le seul dans ce cas.”

 

Quelles sont en général les raisons de refus des chaînes/institutions pour obtenir un financement ? Sont-elles justifiées selon vous ?

Quand on cherche un financement pour monter un film il y a plusieurs “guichets”. Il y a d’abord les chaines de télévision. Comme la plupart de mes projets comportent des éléments ayant trait au genre “fantastique” ou “anticipation”, ou bien sont légèrement teintés de surréalisme ou d’humour noir, ils déplaisent aux chaînes grand public qui recherchent du drame réaliste ou de la comédie populaire. Seule Canal Plus m’accorde régulièrement des rendez-vous, mais il y a eu plusieurs projets qui ont capoté sans que jamais je ne comprenne la raison. Les financeurs ne justifient pas toujours un abandon, parfois c’est un autre film traitant d’un sujet proche qui se plante au box-office et ils prennent peur et renoncent. Ou bien c’est un nouveau projet qui arrive, qui devient la priorité et éclipse le tien. Je ne peux pas vraiment en vouloir aux télés qui ne financent pas mes films car c’est leur droit le plus strict. Ensuite il y a les guichets “publics” comme les Régions ou le CNC. Là, les choses deviennent un peu plus scandaleuses. Par nature, les élus régionaux ne souhaitent financer que des projets consensuels. Ils se disent qu’ils gèrent l’argent du contribuable et souhaitent donc que tout le monde puisse aimer le film, du coup ça élimine les projets originaux, ou jugés trop iconoclastes. Récemment une Région a finalement refusé d’investir dans un de mes films, le jugeant trop “gore”. Je suis tombé de ma chaise car il n’y avait aucune scène sanglante dans ce film pour tout public ! Le jury a dû fantasmer des scènes qui ne figuraient pas dans le scénario… Concernant le CNC, il y a de quoi être perplexe, car je comptabilise à ce jour une quinzaine de refus de sa part. En vingt ans je n’ai reçu aucune subvention, je pense être le seul dans ce cas. Pourtant cet organisme a pour mission, en théorie, de défendre des projets de qualité, qui ont du mal à trouver leur place dans le secteur “commercial”. La plupart du temps, mes films entrent parfaitement dans ce cadre, puisqu’ils sont assez ambitieux sur le plan artistique et que l’originalité des thématiques ou du traitement éloigne des financements les plus “grand public”. Hélas cet organisme a une dent contre le “cinéma de genre” et surtout, ne veut promouvoir que des oeuvres réalistes correspondant à l’idée qu’il se fait du “cinéma français” et de son “exception culturelle”. Le cinéma que j’appellerais “de l’imaginaire”, au sens large, est injustement méprisé. Je ne vais pas non plus jouer les naïfs, il existe aussi un certain copinage dans les attributions des subventions, que chacun déplore, hélas personne ne fait rien pour y remédier.

 

Comment faire un film sans soutiens financiers ? Existe-t-il d’autres voies ?

Aujourd’hui tourner un film est moins compliqué qu’autrefois. Le matériel numérique coûte moins cher (quand enfant, je tournais mes petits films en Super 8, tout mon argent de poche y passait !), on trouve assez facilement des collaborateurs… Cela vaut surtout pour un court-métrage qui mobilise les gens sur une courte période. Si on veut tourner du long-métrage, il faut quand même un peu d’argent et de ce point de vue, ça reste très dur de dénicher les fonds. Les systèmes de crownfunding sont rarement efficaces. Une fois son film tourné il y a le problème de son exploitation. Un film indépendant n’a aucune chance de décrocher un distributeur pour les salles, peu de chance de vendre à une télévision. Jadis on pouvait espérer vendre quelques dvd mais maintenant le marché est en chute libre, à cause de la concurrence du streaming et du piratage. Diffuser son film en VOD n’est pas suffisant, ça ne rapporte presque rien. Le streaming pirate tue tout espoir de diffusion indépendante. De très nombreux cinéphiles le savent et pourtant ils continuent à voir les films illégalement et gratuitement sur leur ordinateur ce qui condamne à mort le cinéma indépendant.

 

Vous parlez du cinéma comme d’un ‘monde de gangsters’ et vous mentionnez un ‘cinéma officiel’. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Je ne crois pas avoir utilisé le terme de gangsters pour le cinéma en général, dans mon livre j’ai évoqué certains producteurs en particulier, en revanche il existe bien un cinéma officiel, qui se vit un peu comme une aristocratie. Ce sont quelques dizaines de sociétés, quelques centaines de producteurs et de réalisateurs, qui bénéficient de toutes les aides et parrainages. Ces gens-là sont les “professionnels de la profession”, ils ne connaissent pas ou peu la crise, même quand leurs films ne font pas d’entrées les budgets de production leurs permettent de bien vivre. Ils évoluent en famille, au sens figuré comme au sens propre, car la plupart des gens qui vivent du cinéma sont des “filles ou fils de”, ce qu’on ignore souvent car ils changent leur nom. Le monde du cinéma est un monde qui fait rêver et donc, ceux qui sont “arrivés” ne cèderaient leur place pour rien au monde à des petits nouveaux. Cela étant, je ne voudrais pas donner l’impression d’être dans la critique systématique, le cinéma français produit quelques bons films chaque année et surtout, il représente un vrai secteur d’activité. Dans la plupart des pays européens la production nationale est marginale, pas en France qui possède une vraie industrie et compte de nombreux professionnels de talent.

 

“Le monde du cinéma est un monde qui fait rêver et donc, ceux qui sont “arrivés” ne cèderaient leur place pour rien au monde à des petits nouveaux.”

 

rjt roboflash ladefense recadreSur le tournage de Roboflash Warrior

 

Pourquoi aller aux Etats-Unis donnerait un “coup de fouet” à votre carrière ?

Beaucoup me l’ont conseillé et depuis longtemps ! Il est vrai que le cinéma américain focntionne de manière différente, il est plus curieux des nouveaux talents. Mais il ne faut pas croire que c’est le paradis et que l’herbe y est si verte. D’abord, il faut quelques solides contacts et un CV déjà attrayant. Les amis réalisateurs qui sont partis à Hollywood tourner des films avaient déjà à leur actif plusieurs films sortis en salles en France, ce qui n’est pas encore mon cas. Ou alors ils avaient un très très bon agent, ce qui n’est pas mon cas non plus ! (rires) Franchement et même si je suis un grand fan du cinéma américain (Scorsese, De Palma, les frères Coen ou David Lynch sont de grandes références pour moi) je ne suis pas sûr que ce soit la solution, j’ai envie de tourner des films dans mon pays !

 

“Le fantastique ne doit pas se percevoir comme un genre immature pour adolescents attardés comme le pensent à tort les décideurs du cinéma français.”

 

Dans votre livre vous citez souvent Tarantino…

Tarantino est un cinéaste formidable, un pilleur de génie, qui a su recycler des éléments de contre-culture pour créer un univers bien à lui. Il y a quelques années un critique m’avait d’ailleurs comparé à son comparse Rodriguez et j’avais été flatté. Certains reprochent à Tarantino d’avoir bâti son succès en recopiant d’autres films mais c’est idiot. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur d’exploiter des formules qui ont fait leur preuve mais en ajoutant sa touche personnelle et ses propres obsessions. J’ai souvent écrit des films de genre, qui d’une certaine façon et à un certain niveau de lecture pouvaient s’apparenter à un film de zombies ou un film de fantôme mais j’ai ajouté des thématiques contemporaines et des préoccupations personnelles. J’ai traité l’aliénation économique, l’esclavagisme, la corruption, la manipulation politique, le thème de l’identité aussi… Ce qui me passionne avec les genres fantastique ou SF, c’est que c’est une ruse parfaite pour aguicher le spectateur et l’entraîner en terrain inconnu sur des chemins absolument périlleux. Le surnaturel ou le surréalisme permettent aussi de tendre un miroir déformant mais au fond de ce miroir, à travers les formes abstraites et les visages grimaçants, c’est nous mêmes qu’on retrouve ! Le fantastique ne doit pas se percevoir comme un genre immature pour adolescents attardés comme le pensent à tort les décideurs du cinéma français, c’est au contraire une aubaine extraordinaire pour aborder les sujets les plus profonds et les plus actuels.

 

Vous n’en avez pas marre des fois ? Qu’est-ce qui vous fait tenir ?

Bien entendu, ce que je vis est très difficile à supporter. Parfois j’ai l’impression de vivre un cauchemar et que je vais me réveiller. Ce qui me sidère c’est que la censure de mes oeuvres est parfaitement injuste, stupide, ça ne rime à rien. Je pense vivre un peu, toute proportion gardée, ce que ressentent les victimes d’erreurs judiciaires, il y a une part d’incrédulité, parfois un peu de découragement, mais je ne me résignerai jamais. Vous savez, quand j’écris un scénario, j’imagine les moindres détails du film : son casting, sa mise en scène, son montage… Je compose même des parties de la musique car souvent, jouer du piano ou du synthé m’inspire pour imaginer l’histoire et écrire. Du coup quand le film ne se fait pas, c’est un peu comme une fausse couche, je perds un bébé. Les personnages auxquels je croyais dur comme fer pendant des mois, disparaissent d’un seul coup. L’histoire qui avait pris forme au fil de l’écriture, le petit univers qui était sur le point de naître, est brutalement jeté aux oubliettes. On a forcément l’impression d’un immense gâchis, à tous les niveaux. Quand je vois certains films qui sont largement financés et aidés par les organismes publics, c’est quelques fois l’incompréhension. Certains de mes défenseurs prétendent que je suis “blacklisté” mais je n’en suis même pas sûr… Je crois plutôt que le cinéma français vit sur ses acquis et manque de curiosité, il ne veut en aucun cas évoluer et entr’ouvrir la porte à des films qui pourraient casser un peu la vaisselle. Attention je ne dis pas que mon ambition est de révolutionner le cinéma français (rires) je veux seulement, et modestement, proposer quelque chose d’un peu différent. Raconter, à ma manière, des histoires qu’on ne raconte pas ou peu aujourd’hui sur grand écran. Si je n’abandonne pas, c’est que je suis très obstiné et persévérant. Et que je ne peux pas imaginer qu’il soit définitivement impossible de s’exprimer artistiquement dans notre pays pourtant réputé universellement pour sa culture. Je sais que je n’ai peut-être pas les bons soutiens haut placés et qu’on me considère comme un marginal, mais j’ai confiance dans la force de mes projets. Je suis convaincu qu’un jour, l’un d’entre eux finira par se concrétiser, peut-être sur un malentendu ! Brazille chef d’oeuvre de Terry Gilliam, s’est monté sur un malentendu, je pourrais en citer d’autres encore… Moi mon job est de travailler dur pour écrire de bons scripts et les présenter aux décideurs. Ensuite, il faut aussi laisser place à la magie du cinéma et je crois que le miracle finira par s’accomplir.

 

“Je suis très attentif à l’évolution du web qui pourrait venir bousculer les certitudes d’un cinéma officiel endormi sur ses lauriers.”

 

Sur quoi travaillez vous actuellement ?

D’une part j’écris l’adaptation d’une bande dessinée assez populaire et j’ai l’espoir de la porter sur grand écran. D’autre part je développe aussi des projets plus modestes mais tout aussi passionnants. Un documentaire assez décalé sur la politique et les élections, et aussi un court-métrage que j’aimerais tourner sur le sujet du totalitarisme. Je me consacre enfin à la recherche de financements pour des séries destinées à une diffusion internet dont je suis auteur ou co-auteur, l’une porte sur ce qu’on appelle le “complotisme”… Je ne veux pas traiter ces séries comme de vulgaires pastilles pour internet comme on en voit beaucoup sur Youtube, ces vidéos sont souvent drôles mais très formatées d’un point de vue esthétique. Voilà pourquoi je défends le concept de “Web-cinéma”, des oeuvres réalisées avec le même soin que pour le grand écran mais pouvant bénéficier d’une diffusion sur le web, plus immédiate et moins coûteuse qu’une sortie en salles. Je pense qu’internet peut permettre de révéler pas mal de nouveaux talents, des “filles et fils de personne” qui n’auraient jamais eu leur chance face à des producteurs traditionnels. Mais je dirais que ce qui manque souvent aux créations pour internet c’est l’ambition artistique. Je suis très attentif à l’évolution du web qui pourrait venir bousculer les certitudes d’un cinéma officiel endormi sur ses lauriers.

 

livre couv mon cinema de A a Z

 

 

Comme indiqué dans l’introduction, Julien Richard-Thomson a écrit un livre dans lequel il revient sur son expérience.

 

 

 

 

 

Propos recueillis fin novembre 2015.

Crédits photo : Jaguarundi Films.

Publié le 5 décembre 2015. Dernière mise à jour le 21 avril 2018.

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